Coronachronique N°9 30/3/2020

📅 30 mars 2020

Coronachronique N°9 30/3/2020

Quinzième jour de confinement.

40 174 personnes déclarées atteintes du coronavirus.

2599 de plus qu’hier.

2 606 personnes décédées.

292 de plus qu’hier.

Le taux de létalité dépasse les 6.5%.

La courbe n’a pas commencé à s’infléchir.

 

                Je n’ai plus de masque, ni de gel hydro-alcoolique et de gants, j’ai, il y a quelques jours, épuisé ma réserve. Ce n’est pas faute d’avoir braqué quelques voitures d’infirmières après avoir dévalisé les magasins. Qu’y puis-je ? Lorsque je fais mes courses, monte en moi une irrépressible intuition grégaire : serai-je touché par un postillon volatile ?

                Me voilà dans la rue, au sortir de chez moi et déjà je ne respire plus qu’à moitié. J’inspire mesquinement refusant l’air que m’offre l’extérieur parce que j’en ai de réserve dans mon jardin. Alors je suis comme le voyageur frileux qui refuse le plat, par essence exotique, que lui tend l’indigène en signe de partage et de bienvenue. Je refuse le rituel cannibale qui consiste à aimer l’autre par le truchement d’une préparation qui est l’offrande de soi. Le cannibalisme c’est aimer l’autre : « Prenez et mangez-en tous car ceci est mon corps ».

                C’est donc dans cette configuration xénophobe que je poursuis mon chemin. Quelque peu essoufflé par les économies que j’impose à mon sang qui ne transporte bientôt plus que du gaz carbonique. Je suis une machine entropique souffreteuse et rapetissée. Qu’un passant vienne à ma rencontre et je change de trottoir. Et si cet acte d’évitement est impossible en raison de la configuration des lieux, j’arrête de respirer bloquant toute inhalation potentielle des humeurs de l’autre. N’était la peur du ridicule - qui chez moi tue autant que le coronavirus - je porterais bien un masque à long nez comme on en porte au carnaval de Venise pour singer les médecins jadis en contact avec les pestiférés. Convaincu comme eux, en ces temps d’ignorance, que la pestilence est porteuse de germe.

                Parvenu au magasin, c’est suffoquant que j’entame mes courses. Fruits, légumes, yaourts, café. Lorsque j’en sors, j’ai les mains lourdes du virus. Que dis-je, elles sont constellés des centaines de COVID glanés dans les rayons, mis en avant par des ELS infectés et des clients zélés sur cinq mètres linéaires tels des mottes de beurre en facing, très éloignées, pour mon malheur, de leur date de péremption. Mes mains me tombent des bras. Je leur enjoints de rester derrière. Qu’elles me suivent mais à respectueuse distance, tirant le caddy aussi replet de vivres que de ma défiance.

                De retour au bercail, j’ordonnerai à mes mains de faire une toilette puis d’en faire une nouvelle après qu’elles aient désinfecté mes emplettes. Et là, après les avoir rangées, aussi malade d’autosuggestion que de colère, je sentirai ma gorge enfler, mes poumons rétrécir, la fièvre monter jusqu’à l’ire la plus irrépressible. Alors, j’ouvrirai ma fenêtre et dressant le poing en direction du voisin d’en face en rémission d’une infection coriace, je lui demanderai de déménager.