Coronachronique N°13 3/4/2020

📅 03 avril 2020

Coronachronique N° 13 3/4/2020

Dix-neuvième jour de confinement.

59 105 personnes déclarées atteintes du coronavirus.

2116 de plus qu’hier.

4 503 personnes décédées.

471 de plus qu’hier.

Le taux de létalité est de 7.5%.

La courbe semble amorcer un infléchissement.

 

                Parfois le confinement me semble long et les trois semaines à venir me pèsent. Ce dont je souffre c’est la trop lointaine perspective de la Corse qui me manque comme l’eau d’une fontaine tarie. Voilà les embruns d’une source… pour nous rafraichir.

                C’est un matin d’aout. Comme le soleil commence à bruler, nous descendons Catalina et son père, à la petite fontaine. Elle a sa petite main dans la mienne. Je lui apprends à lire les balises orangées qu’elle suit scrupuleusement. Puis elle me lâche et part à la recherche de fontaines asséchées. Comme elle n’en trouve pas d’autres que celle qui se situe à mi chemin entre le village et le lieu dit ( ), elle en invente. Elle les débouche. Elle réinvente Manon des sources. Elle voit des sangliers qui dorment dans le creux des châtaigniers et elle me montre le chemin par lequel ils sont arrivés. Lorsque nous parvenons à destination, elle s’accroupit près de la vasque. Et comme elle est un peu tombée sur ses mains, elle applique des feuilles de chênes pour panser ses blessures. Je suis assis près d’elle et son père est assis près de moi. Elle se raconte des histoires tandis qu’elle remplace la feuille rouillée de la vasque par une feuille verte qui projette le jet de la source qui se met à chanter. Elle tend l’oreille. D’abord, elle entend le chant des oiseaux puis elle devine le grondement de la rivière qui grossit tandis que nous descendons le chemin. Je m’allonge, je regarde les frondaisons et sa petite voix me plonge dans une profonde paix et aussi ses gestes méticuleux qu’elle mouille de la claire fontaine comme lorsqu’elle pose ses doigts sur mon visage pour explorer le grain de ma peau ou la rudesse de ma barbe. Je redoute le moment où son père la priera de rentrer car elle joue, elle se raconte et elle me soulève. A cet instant, elle est détachée de moi. Elle ne me saute pas au coup pour m’entourer de ses petits bras. Elle est occupée à recueillir l’eau de la source. Pourtant, elle me soulève. A la remontée, elle me donne sa petite main fraîche qui me désaltère. Puis elle demande à être portée et je n’attends que le moment de la prendre dans mes bras pour lui déposer un baiser dans le cou et enfouir mon visage dans ses boucles blondes.

                Le soir, je m’installe à Tozza, dans un recoin qui a la forme de mon corps. Un rai de lumière pointe sur une herbe verte et fait instantanément éclore une éphémère fleur de soleil. Je me pose contre un rocher qui me sert de dossier et sur une pierre qui me sert de siège. Je lis Giono. Je me délecte. « Bataille dans la montagne ». Moi qui suis dans la mienne. Les mouches vrombissent autour. Le vent couche les herbes et tourne les pages de mon livre. Les cloches de Sermano sonnent et me rappellent que la nuit tombe, douce comme l’air qui me caresse le visage.

                Bientôt, je me couche dans ce vaste lit de la nuit qui résonne. Elle m’ouvre les bras. Je la sens couler en moi, me pleuvoir dessus de ses étoiles qui viennent me scintiller dans la bouche. Ô nuit, je n’ai pas assez de mes jours pour me désaltérer au lait de ta lune, pour me laisser doucher de ta noire fraîcheur, me laisser bercer de ton chant et m’émouvoir de ton palpitement. Passe le temps. Tournent les étoiles de la galaxie. File le satellite que je suis un long moment du regard jusqu’à ce qu’il plonge derrière l’ombre d’une colline plus noire que la nuit. Me coucherai-je ? Aurai-je dans les yeux assez de scintillements ; dans les oreilles, assez du bois de ta flûte et dans le cœur, assez de ta douce bienveillance pour me mener au profond repos auquel j’ai tant rêvé et dont tu m‘offres enfin, cette année, la jouissance.