Coronachronique N°7 27/3/2020

📅 27 mars 2020

Coronachronique N° 7 27/3/2020

Douzième jour de confinement.

29 155 personnes déclarées atteintes du coronavirus.

3 922 de plus qu’hier.

1 596 personnes décédées.

265 de plus qu’hier.

La courbe n’a pas commencé à s’infléchir.

 

                La dernière offensive de l’hiver nous aide à maintenir le confinement. Un ciel plombé, les pluies à venir, la neige qui tombe en ce moment sur mon petit village de Corse nous poussent à rentrer. Là, au travers des carreaux de la fenêtre, le regard s’embrume et se noie dans l’eau d’une gouttelette où se mêlent la lumière, les larmes et la pluie. Ce soir j’irai sous l’appentis chercher quelques bûches et nous les regarderons, Jeanne et moi, brûler dans le poêle et danser les flammes dont le crépitement, déjà, nous réchauffera.

                J’ai reçu de mon village les images des lourds flocons tombant dans la brume. Je sais que le chasse-neige est passé ouvrant la route au ravitaillement. Je pense à mon frileux jardin que j’ai laissé là bas.

                Dans mon jardin il y a la sauge, le romarin, le thym et la lavande qui doivent ployer sous le manteau blanc. La sauge est abondante. Ses boutons résisteront-ils au froid revenu ? L’été, elle sent si fort qu’on dirait qu’elle transpire d’une humaine sudation. Pourrai-je en voir éclore les fleurs le temps venu ? Après l’hiver aux cinq neiges j’ai vu le triste spectacle de l’arbousier dont les branches cassées trainaient sur le sol comme des membres désarticulés. N’était le confinement, j’aurais là bas descendu dans mon jardin pour y cueillir le romarin. J’aurais descendu dans mon jardin nettoyer un peu les herbes folles que j’aurais laissées autour des lauzes et du palmier vigoureux. J’aurais laissé quelque verdure et des boutons d’or. J’aime cette île qui me manque et qui souffre comme le continent. Et j’ai eu la naïveté de croire qu’elle serait épargnée, toute lovée dans une parenthèse infranchissable de mer et de sable. D’ici, la montagne sauvage se dresse devant moi, couverte de chênes mais j’aime plus encore, je crois, y voir la présence de l’homme lorsqu’il s’arrange avec la terre pour y prendre juste son compte, pour y trouver son content, son comptant, sa suffisance. Pour y trouver sa suffisance comme dit la tante. Lorsqu’il débarbouille juste un peu la colline, la rafraîchit d’un excès de pilosité, lui contient la pente avec quelques murs de pierres sèches et peigne une terre pauvre mais bien élevée de sillons qu’il arrose pour y trouver sa suffisance. Juste sa suffisance. C’est un accord entre la terre et l’homme. Un échange de bons procédés, un entretien mutuel. Aujourd’hui sur la colline, je ne vois plus que le souvenir de cette rassurante présence. Il n’y a plus que d’anciennes restanques ondulant sous l’herbe sauvage. Alors, la terre se déchaîne d’une inutile abondance, gesticule tout autour pour rappeler à ses fils la vacuité de son sein. Fils ingrats. Dans mon jardin il y a deux planches. Une où je plante. L’autre où je marche. Minuscule espace où je me pose après avoir retourné la terre pour regarder, comme d’une nuque rafraîchie, l’effet de la taille.

                Irai-je au village en avril voir se colorer la colline d’asphodèles et d’ellébores, regarder tourner le cirque montagneux qui enserre ma maison comme un écrin et m’asseoir sur un rocher pour y lire dans la paix, oublieux enfin d’une inutile abondance, de la déraison des hommes et de la litanie du décompte des morts ?