Heure d'hiver de Pascal De MARZI

📅 26 septembre 2022

          C’est l’heure d’hiver. Imperceptiblement la nuit tombe. Si on n’a pas sa montre avec soi, on regarde simplement le jour baisser. La nuit passe. Rien ne change. Sauf qu’il ne faut pas se tromper de rendez-vous, le matin, avec les vaches qui ne sont pas encore montées de la rivière et qu’il faut attendre, le foin au bout de la fourche. Sauf qu’il ne faut pas se tromper, le soir, de rendez-vous avec le soleil que je souhaite une fois de plus regarder plonger derrière la montagne et éclabousser de lumière rouge les nuées qui s’attardent.

            Le vent à cessé de souffler et devant la maison il n’a pas omis de balayer proprement les dalles en constituant, ça et là, des petits tas de feuilles parfaitement délimités qu’il ne me reste plus qu’à ramasser. Lorsque la nuit est d’encre, lune noire oblige, que les lampadaires se sont éteints et que le village dort soit dix personnes au maximum en considérant que je suis, à cet instant, le seul à veiller, je m’assieds sur les marches et je regarde le ciel. Autant de systèmes solaires que d’étoiles. Ça me sidère… Là, j’écoute le silence mais il est si profond que le sifflement de mes oreilles vient en perturber l’absolutisme. Le silence est-il de ce monde ? A mon corps défendant, je suis bruyant et je couvre ce néant sonore : pas un grillon, pas une chouette, pas un souffle d’air, pas un chien, pas une cloche. Moi et mon dedans. Micro-cosmos frémissant plus effronté que le mutique firmament.

            Ce matin, je suis remonté de bonne heure sur la Tozza et voilà que le jour, plus matinal qu’hier, se met à chanter, mais si on n’a pas sa montre avec soi, on regarde simplement le jour se lever. Il chante. Là bas, un corbeau exécute sa partition. Trois croassements puis un silence, trois croassements. En l’écoutant bien, j’entends cra ! cra ! cra ! plutôt que croa ! croa ! croa ! Et je me dis que le corbeau crasse, derrière les chênes, je ne le vois pas, il crasse, c’est un soliste en habit noir luisant, il volète d’arbre en arbre. Derrière, il y a d’autres oiseaux, des aigrettes, des moineaux, des mésanges, des rouges-gorges, je les reconnais car ils habitent l’arbousier du jardin qui donne sur notre chambre et leurs conciliabules sont intenables. Ce matin, ils habitent le vaste ciel au dessus de moi et leur chant léger se dissipe dans l’air. Au dessus de cette guillerette cacophonie, un liseré noir, cra ! cra ! cra !... Un liséré noir et le basson d’une tronçonneuse qui monte du fond du vallon, lancinante, haletante, peinant selon la morsure qu’elle fait au bois, au nœud du bois, au chêne, au hêtre ou au châtaignier. Ponctuellement, quelques coups de fusils éclatent et rebondissent sur les flancs de la montagne qui entoure le canton. Les chiens aboient et même, ils hurlent à l’hallali si la bête est touchée. Tandis que j’écoute ces cris de bêtes à la curée, des mouches bourdonnent autour de moi, la cloche de Sermano sonne la demie de son timbre léger et la « 205 junior » de Laetitia tousse au démarrage puis rugit plus fort qu’un vieux 4x4 couvrant cette matinale symphonie d’une mécanique plus obsolète que les petits pains de la Saint Roch. Et la musique d’une publicité, tout aussi désuète, s’installe pour le reste de la journée dans ma tête, à mon corps défendant. A mon corps défendant…

« Quant il est arrivé

Avec sa 205 Junior

On a tout de suite deviné

Qu’il était le plus fort

Avec ses sièges en jeans

Et ses bandes latérales

Pour nous piquer toutes nos copines

Il n’a pas eu de mal… »

 

Pascal De Marzi

2017

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